Qui veut la peau de Nacer Bouhanni ?

par | Avr 8, 2021 | Actualité

Pire que le dopage, voici venir une effrayante et insupportable vague de racisme autour de la personnalité controversée du plus jeune Champion de France professionnel de l’Histoire, Nacer Bouhanni.
Accusé d’avoir délibérément tassé un adversaire lors de l’emballage final de Cholet-Pays de Loire, le sprinter vedette du team Arkea Samsic se voit couvert d’insultes racistes sur des réseaux sociaux devenus l’exutoire des frustrations et des haines. Voulant laver plus blanc que blanc, l’UCI aurait-elle ouvert la boite de pandore ? André Darrigade, Cyrille Guimard et Jean-Christophe Rattel réagissent…

Nacer Bouhanni
Un garçon aimable, courtois, intelligent, cultivé, qui accueille le visiteur avec une évidente volonté de partager son vécu d’athlète hors norme.
J’ai rencontré vraiment Nacer Bouhanni, alors sprinter titre chez Cofidis, lors d’une journée chez lui à Aix-en-Provence. Une journée placée sous le signe de l’amitié et du récit avec Jean-Christophe Rattel, PDG d’Ekoi, comme guide.
J’ai découvert, après quelques longues minutes de préambule prudent – Champion mais écorché vif- et plusieurs cafés serrés, un personnage parfaitement étranger à la caricature du Bad boy le plus souvent accolée à son personnage par des commentateurs ne l’ayant sans doute jamais réellement côtoyé.

Réservé d’abord. Mais à l’écoute. Simple et attachant, sensible aussi, avec une évidente volonté de dialoguer autour de passions fortes. Le cyclisme naturellement. La boxe avec son héros Mohamed Ali. La culture étrangement aussi.

La journée aura été l’un des plus singulière et des plus sympa de ma carrière de journaliste. Avec la révélation d’un personnage aux multiples facettes. A la fois sportif et citoyen. Ouvert et adepte du mutisme suivant le cas. La résultante, je le comprendrai bientôt, d’années de vexations et d’humiliation. Le cyclisme n’est certes pas le football. Et l’origine maghrébine de Nacer et de sa famille ne va pas de soi dans un milieu égocentrique.
Tout Champion qu’il est, célèbre et reconnu en dépit de tout, Bouhanni nourrit de toute évidence le souvenir de blessures psychologiques anciennes. Blessures anciennes et blessures nouvelles. Avec aujourd’hui ce déclassement sur une épreuve de Coupe de France et cette accusation de sprint volontairement irrégulier et dangereux. Le tout assorti d’un déferlement de haine raciste sur les réseaux sociaux.

L’UCI, à l’origine des accusations et donc de la tempête sur le net, vient heureusement de se dédouaner en condamnant les publications racistes visant le sprinter du Team Arkea Samsic.
Pas de quoi régler vraiment le problème. A commencer par l’accusation de sprint volontairement irrégulier. André Darrigade, Cyrille Guimard et Jean-Christophe Rattel témoignent et apportent leur soutien à Nacer le Maudit…

Nacer Bouhanni et Alexandre Lombardo - Février 2019 - Photo Joel Lombard @le_jowman

« Si ça continue on va demander aux coureurs de faire leur sprint sur des couloirs comme pour le 100 mètres en athlétisme. C’est n’importe quoi. Vraiment n’importe quoi ! »

Le légendaire André Darrigade n’en démord pas. Pour le plus grand sprinter du cyclisme français, 22 fois vainqueur d’étapes sur le Tour, les sprinters sont aujourd’hui victime de cette manie des instances internationales de vouloir tout régenter sans vraiment comprendre. A commencer par mettre en laisse ces artistes incroyables que sont les grands sprinters.

« Un sprint c’est à la fois une bataille sans merci et une œuvre d’art. les sprinters sont des guerriers artistes qui ne peuvent être jugés que par leurs pairs. L’UCI et sa commission disciplinaire ne semblent pas l’avoir compris. Aujourd’hui on est en pleine folie légaliste. Et Nacer Bouhanni, un grand sprinter que j’estime et que j’admire, me semble être le bouc émissaire d’une politique castratrice qui porte atteinte à l’essence et à l’image de notre sport. C’est grave et irresponsable. Son écart lors du sprint de Cholet Pays de Loire est un fait de course. Il a d’ailleurs reconnu lui-même son erreur involontaire. On l’a déclassé, ce qui est déjà très dur. Mais voilà qu’on parle de suspension de plusieurs mois. C’est n’importe quoi. Bouhanni est aujourd’hui victime d’une image qui lui a été accolée par certains médias. Avec une campagne de dénigrement raciste scandaleuse. Je ne reconnais plus le cyclisme. Jusqu’à présent le racisme touchait surtout le football. Pas le cyclisme. L’UCI n’a pas compris qu’elle allait trop loin. »

Le lieutenant préféré de Jacques Anquetil est en colère. Mais il analyse avec intelligence les nouvelles règles du sprint. Avec selon lui une constante technique nouvelle qu’il importe de prendre en compte pour comprendre les écarts, le plus souvent involontaires, rencontrés lors des sprints massifs.

« Autrefois nous sprintions avec des braquets plus modestes. Nous avions un rythme de pédalage très élevé qui nous imposait de rester assis sur la selle. Et ainsi nous maitrisions mieux nos vélos. Aujourd’hui les coureurs disputent leurs sprints avec des braquets énormes et ils se lèvent de la selle pour emmener et relancer au paroxysme leur 56X11. Ils maitrisent donc moins facilement les écarts de leurs vélos. Pour assimiler tout ça il faudrait que les pontes de l’UCI aient eux même disputé des sprints à ce niveau ultime. Ce qui est loin d’être le cas. Je ne veux pas remettre en cause les institutions qui régentent le cyclisme, mais je veux que les responsables comprennent la réalité de l’effort ultime que le sprint constitue. Évidemment qu’il faut sanctionner les mauvaises pratiques. Mais avec intelligence et mesure. Et sans prendre systématiquement un athlète victime d’une image de mauvais garçon qui me semble parfaitement abusive. Au risque de déclencher une scandaleuse campagne de dénigrement raciste. »

Cyrille Guimard, qui fut lui-même un très grand sprinter avant de devenir le directeur sportif français le plus titré de l’histoire et un commentateur avisé du cyclisme contemporain, rejoint André Darrigade. Comme lui il ironise et s’indigne.

« Dédé Darrigade a raison. Il faudrait peut-être contraindre les sprinters à respecter des couloirs…Bon, sans rire, il faudrait arrêter de vouloir tout régenter. La responsabilité première des instances du cyclisme serait plutôt d’agir auprès des politiques pour favoriser la pratique du vélo. Et pas de saborder cette pratique par des règlements absurdes et des sanctions systématiquement ciblées sur tel ou tel coureur comme c’est le cas pour Nacer Bouhanni. Sprinter c’est faire la guerre, pas savourer une tasse de thé dans les salons feutrés d’un palace. Le sprinter assume les risques. D’autant plus facilement que les mauvais gestes sont tout de même rares. Et les écarts constatés sont le plus souvent involontaires. Je suis persuadé que celui de Bouhanni dans Cholet Pays de Loire était un banal fait de course qu’il a d’ailleurs immédiatement reconnu et regretté. On le déclasse ok. Mais pourquoi vouloir lui appliquer une triple peine ?
Déclassement
Suspension.
Campagne raciste.
A trop vouloir imposer une vision zéro risque du vélo, l’UCI fait fausse route. D’ailleurs la majorité des chutes dans le peloton ne se produisent pas au moment des sprints. Mais durant les périodes de calme. Alors puisque pour chaque chute il y a un coupable, suspendons tout le monde. Absurde. Comme les attaques inacceptables dont Bouhanni est aujourd’hui la victime. Le racisme est un cancer qui ronge le sport et la société. Il ne faut pas l’exacerber en prenant pour cible un coureur à qui l’on reproche aujourd’hui jusqu’à son origine. »

Nacer Bouhanni et Jean Christophe Rattel - Photo Joel Lombard @le_jowman

Même indignation chez le PDG d’Ekoi, Jean-Christophe Rattel.

« Dans les accusations absurdes qui le visent, je ne reconnais pas le Bouhanni que je connais depuis des années. Le portrait qui est fait de lui est totalement faux. Nacer est un calme, un athlète de grand talent, modeste et pudique. C’est tout sauf une tête brulée. Dans nos relations d’équipementier à coureur je n’ai qu’à me louer de lui. D’autant que ses retours techniques sont toujours judicieux. Il a sans doute fait une erreur comme il le reconnaît. Mais une erreur involontaire. Un banal fait de course qui a été une fois encore monté en épingle. Et le résultat c’est une menace injuste de suspension qui compromettrait toute sa saison. Et notamment sa participation aux Championnats de France chez lui à Epinal. »

Pour sa part Nacer Bouhanni a déclaré forfait pour le Grand prix de l’Escaut. Et il avoue être tenté par l’arrêt d’une carrière commencée par un titre de Champion de France décroché à 21 ans.
Adrien Morenas en discussion avec le Président de la République

L’indignation d’un député

Député du Vaucluse, Adrien Morenas a joint Top Vélo pour manifester tout à la fois son soutien total à Nacer Bouhanni et son indignation face aux attaques racistes dont il fait l’objet sur les réseaux sociaux.

Pour cet élu fortement engagé pour le strict respect de la démocratie et des droits de l’homme dans un secteur où l’immigration a été longtemps un argument de campagne politique, il est insupportable de voir un Champion attaqué essentiellement pour ses origines ethniques ou ses supposées préférences religieuses.

Au-delà de tel ou tel fait de course monté en épingle par les réseaux sociaux pour justifier l’injustifiable, je veux dire à Nacer Bouhanni tout mon soutien dans le contexte inacceptable de ce torrent d’insultes racistes dont il fait l’objet. La République ne peut admettre une quelconque distinction de valeurs entre les individus en fonction de leur origine. Personnellement je suis catastrophé de voir un sport aussi populaire et aussi citoyen que le cyclisme devenir le champ clos des haines et des insultes comme cela est déjà trop souvent le cas dans le football hélas. Nacer a été Champion de France militaire et Champion de France professionnel. Il est un exemple d’intégration dans le creuset social et culturel français. Sa vie et sa carrière ne doivent en aucun cas être hypothéquées par cette effroyable campagne de dénigrement raciste. Je me situe résolument à ses côtés dans l’épreuve qu’il subit. Et je lui souhaite de parvenir à surmonter cette tempête de haine pour redevenir le Champion que nous admirons.

Concernant l’aspect purement sportif, Adrien Morenas met l’accent sur le nécessaire sens de la responsabilité sociale et politique des instances internationales. Pour cet élu de terrain, les responsables fédéraux doivent tenir compte des répercussions possibles générées par des annonces d’apparence hâtive ou discriminatoire.

Sans jamais vouloir interférer dans la gestion des instances sportives, je voudrai appeler à la mesure et à la réflexion. Clouer à priori au pilori un athlète sans l’entendre et sans se préoccuper des éventuelles répercussions est éminemment dangereux. On le constate dans l’affaire Bouhanni. Et se dédouaner ensuite en publiant un simple communiqué de soutien n’est pas suffisant. On ne peut substituer la discrimination négative à la discrimination positive. Ce serait un contre-sens démocratique et républicain.

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