Moderne ou anti-moderne ?

par | Août 24, 2021 | Editos

Depuis les origines du cyclisme, le graal absolu a toujours été la quête désespérée et maximaliste du poids minimal. Il n’y a qu’à songer aux 13 kilos du Legnano de Gino Bartali face aux 10 kilos 500 du Bianchi de Fausto Coppi. Sans parler des 10 kilos du Peugeot de Bernard Thévenet face aux 8 kilos 500 du Merckx-De Rosa du Cannibale. Le comble étant atteint par les 3 kilos 950 du Legnano de piste de Baldini face aux 7 kilos du Helyett d’Anquetil confrontés dans la conquête du mythique record de l’heure en 1956.

Je me souviens personnellement d’avoir passionnément insisté auprès de mon constructeur de père afin de bénéficier d’un nouveau cadre en tubes Reynolds 3 et 5 dixièmes plutôt qu’en Columbus 6 et 9 dixièmes. Une trahison nationale justifiée par le prétexte absurde qu’il me serait impossible de me battre pour la victoire dans la légendaire course de côte du Monte Strega si je ne disposais pas de ce cadre « alleggerito » sans raccords monté avec des composants Campagnolo entièrement percés pour réduire encore d’avantage le poids. Le comble étant atteint par des roues à 24 rayons ligaturés, une roue libre en magnésium et des boyaux de piste Clément extra de 160 grammes. Le résultat étant une machine d’un poids de 7 kilos 100. Soit près de 400 grammes de gain sur mon vélo habituel.
Nous étions alors en 1976, il y a un siècle à l’aune de la modernité saisonnière à laquelle nous avons dû nous habituer depuis une décennie.

Depuis l’irruption des matériaux composites, le carbone en tête, et l’utilisation massive de métaux ou d’alliages light pour les composants, le poids des vélos était passé régulièrement à bien moins de 7 kilos. Souvent même à moins de 6 kilos. Surtout pour les petites tailles de cadres. Avec par exemple des Canyon ou des Bianchi à 5 kilos 800 ou 900. Ce qui a poussé l’UCI, friande de limitations et barrières administratives en tout genre, à dépasser ses propres règles d’homologations en fixant comme en F1 un poids minimal de 6 kilos 800 pour les vélos des professionnels. Contrainte d’autant plus arbitraire et absurde qu’elle ne tenait pas compte des différences de poids en fonction de la taille ni même de la nécessité de lester de plusieurs centaines de grammes les machines. Avec les inconvénients que l’on imagine pour le rendement, la fiabilité ou la tenue de route en descente.

Canyon Aeroad CFR
La modernité, toujours elle, viendra rapidement à l’aide des mécanos d’équipe. Avec l’installation quasi généralisée de capteurs de puissance de type SRM rajoutant 400 à 500 grammes aux vélos des champions. Puis un peu plus tard par l’irruption des groupes électriques, globalement plus lourds. Et enfin par l’arrivée quasi imposée du freinage disque.
Autant de progrès pour le progrès justifiés par les arguments mercantiles du seul marketing. Le verbe venant justifier l’injustifiable comme les mots du critique d’art viennent justifier l’inexistence pathétique de créations contemporaines navigant entre délire lyrique et néant poétique.
Il y a cinq ou six ans encore, nous pesions régulièrement des vélos de pros à moins de 7 kilos. Exception faite naturellement des très grandes tailles. Aujourd’hui la majorité des vélos dépassent les 7 kilos 500 et certains frôlent même les 8 kilos. La quête du poids est devenue un souvenir. Avec comme exemple l’alourdissement invraisemblable d’un chef d’œuvre tel que le Bianchi Specialissima, autrefois élégantissime et hyper light, devenu désormais lourd et pataud comme je l’ai récemment expliqué à mon ami Salvatore Grimaldi.

Rien ne va plus. Les jeux sont faits. Les boss du marketing ont pris le pouvoir face aux mécanos artistes de mon enfance. Alors je vais conserver encore longtemps mon vieux Colnago Président en Super Record 11 à 6 kilos 650. Sans parler de mon ancien vélo de courses de côte…
Suis-je pour autant un anti-moderne ?

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