Mario Cipollini

par | Oct 24, 2019 | Acteurs du cyclisme, Actualité

Il n’aura pas su résister. La tentation était trop grande. En première ligne honorifique au départ de la Granfondo Campagnolo Roma, il Magnifico a fait le départ. Dans sa tenue noire cerclée de vert blanc rouge, il a surgi comme un missile, fort de ses 2200 watts et de ses années d’expérience. Souriant et glorieux. Sprinter absolu en quête d’une éternelle jeunesse. Incomparable athlète cultivant le pathétique entre un refrain de Bob Dylan et un dessin de Leonardo. Forever Young …

Image iconique du plus grand sprinter de l’histoire, le grand Mario Cipollini vainqueur d’un Milan San Remo d’anthologie.

la victoire sinon rien

Quelques minutes après que l’immense peloton des cyclos se soit élancé face au Colisée, nous sommes attablés sur la terrasse d’un café romain. Il y a là Valentino Campagnolo, Lorenzo Taxis, Michele Cardi, Massimiliano Lelli, Daniele Bennati et Mario Cipollini. Un Mario souriant et disert qui prend soin de son vélo, un Cipollini naturellement, et commande un Capuccino et une brioche à un barman qui n’en croit pas ses yeux ni ses oreilles. D’ailleurs il met un moment à réagir. « Pris par surprise » comme il me l’explique en s’excusant de l’ignorance de sa jeune serveuse.
« Il faut l’excuser. Elle est jeune et ne s’intéresse pas au sport. Par contre elle a parfaitement compris qu’il était célèbre. Tout le monde dans le bar s’est mis à parler de lui. C’est Cipollini ! C’est Cipollini ! Un honneur pour mon établissement. Puis-je lui demander un selfie ?»

Selfie encore pour la serveuse, désormais informée, qui apporte notre commande en rougissant. Selfie toujours pour cette hollandaise qui explique à Mario que dans son pays il est toujours une star. Selfie aussi pour ces policières municipales alertées par l’attroupement autour de la terrasse du café.
Mario en plaisante avec nous. Et il indique à ses fans que la vraie personnalité ce n’est pas lui mais ce monsieur qui lui fait face.
« Lui il est vraiment important. C’est Valentino Campagnolo. Sa société a fait l’histoire du cyclisme. Moi je ne suis qu’un faire valoir à côté de lui. Un simple coureur. »
Valentino Campagnolo éclate de rire. Mais il commente l’hommage rendu par Mario. Avec de l’émotion dans la voix.
« Grazie Mario. Mais pour moi comme cela l’était pour mon père, le cyclisme ne serait rien sans ses champions. Ce sont les champions qui écrivent l’histoire. Nous industriels et artisans nous leur fournissons les instruments nécessaires. Mon père Tullio appréciait énormément les coureurs. Et il dialoguait régulièrement avec eux. Je me souviens de ses discussions avec Fausto Coppi ou Eddy Merckx. Pour ma part il est essentiel de continuer à dialoguer avec les coureurs. Échanger avec des champions comme toi est absolument essentiel. Mes collaborateurs les plus proches, comme Lorenzo Taxis et Michele Cardi, connaissent bien l’importance que j’accorde au nom de tout Campagnolo à ces échanges. Ils nous informent et nous font progresser sans cesse. »

Incorrigible “Re Leone”. Au départ de la Granfondo Campagnolo Roma, Mario se prépare à faire le départ… À ses cotés son ami et ex-lieutenant Max Lelli qui va lui emmener le sprint.

Mario acquiesce et montre son vélo.
« Lorsque j’ai rencontré Federico Zecchetto il y a une dizaine d’années, c’est de notre dialogue qu’est née l’idée des vélos Cipollini. Des machines racées conçues et fabriquées en Italie avec le plus souvent des composants italiens. A chaque étape de la création d’un nouveau vélo je suis consulté. Le résultat est là. Nos vélos, comme toujours ou presque avec les marques italiennes, sont des joyaux. Comme le dit une publicité. Nous le méritons bien. Et je dois dire que je suis particulièrement fier de Mes vélos. Ces Cipollini ne sont pas le fait d’un banal adhésif appliqué sur un cadre chinois produit à des millions d’exemplaires. Mais des vélos d’exception conçus par un ingénieur italien génial avec le concours permanent d’un certain Mario Cipollini. Les cadres monocoques sont fabriqués main dans des ateliers italiens par des techniciens italiens puis montés par des mécanos italiens. Le résultat touche au sublime. Aux antipodes du marketing international qui sévit un peu partout aujourd’hui. »
Mario, un moment sérieux, très sérieux même puisqu’il parle aussi de trace carbone et de respect de l’environnement et de la morale, éclate de rire en me montrant du doigt.
« Tu pourrais dire que je suis moi-même aux antipodes des règles du marketing lisse et consensuel imposé au marché par des têtes en forme de computers sans âme. Que je suis un iconoclaste et un rebelle anticonformiste. Tout cela est vrai en partie. Mais en partie seulement. Je suis comme votre Molière. J’utilise le rire pour ne pas avoir à pleurer. Et le sourire devient une arme pour humaniser le marché comme le peloton. Ce peloton désormais manipulé et radiocommandé par des Directeurs sportifs qui n’ont de sportif que le nom. Ce marché faussé par le marketing qui entend faire croire au public le contraire de la réalité. Moi je connais le vélo. Et je ne me contente pas de débiter des banalités absurdes en comptant sur la naïveté des gens. J’ai gagné des centaines de courses et j’ai parfaitement conscience de mon rôle. Qui n’est pas de juger ou de condamner mais de rappeler qu’une fabrique de champion ou de mythes de papier n’est pas une équipe mais un cauchemar. D’ailleurs de nos jours ce n’est pas le Champion qui fait l’équipe, comme avec Coppi, Anquetil, Merckx, Indurain, Hinault, Pantani ou moi. C’est l’équipe qui fait le champion. Qui le sort du néant, le façonne et l’impose au peloton. Si ce n’est pas un contre-sens ça y ressemble ! »

Mario Cipollini entouré de Lorenzo Taxis (Directeur marketing communication de Campagnolo) et Salvatore Lombardo (Directeur de Top Vélo). Passionnante rencontre !

Nouveau selfie réclamé par deux jeunes femmes qui se sont précipitées vers le Champion dès leur sortie du café.
« Mario, Mario. Prego. On vous en prie. Une photo s’il vous plait. Une photo pour vos admiratrices. Vous manquez au cyclisme. Pourquoi vous ne revenez pas ? »
Sans trop se faire prier, Mario quitte son fauteuil et accepte le selfie. Et le baiser qui va avec. Puis il redevient sérieux. Pour parler du peloton actuel. De son asservissement à des règles étrangères au sport. De l’insignifiance de certains vainqueurs. De l’absence de vue à long terme. De ses regrets et de ses colères. Peu à peu notre petit déjeuner romain s’est transformé en discussion passionnante et passionnée.
« Il y a quelques années je venais de gagner la première étape du Tour du Qatar en tout début de saison. J’avais battu au sprint un jeune coureur prometteur. Tom Boonen. Après la remise des prix et le podium on s’est retrouvé tous les deux seuls dans l’ascenseur de notre hôtel. Il m’a souri un peu timide. Je lui ai rendu son sourire. Et puis j’ai vu notre image dans le miroir de la cabine. Lui si jeune. A peine 20 ans. Et moi avec ma barbe d’une semaine déjà grisonnante. Je me suis dit que c’était absurde. Que j’étais devenu trop vieux. Définitivement trop vieux. Sans le savoir je venais de décider d’arrêter. Quelques jours plus tard j’annonçais ma retraite sportive. Tout s’était décidé dans cette cabine d’ascenseur au Qatar. Je n’avais que 35 ans. Physiquement j’aurais pu continuer de courir et de gagner encore trois, quatre ou même cinq saisons. Mais pourquoi ? Seulement pour gagner un peu plus d’argent ? Absurde.
Aujourd’hui je vois certains grands champions continuer de courir et de gagner à presque 40 ans. Comme Gilbert ou Valverde. J’ai un immense respect pour eux. Vraiment. Mais je pense qu’ils devraient prendre conscience qu’il est temps de quitter le peloton. C’est ce que je pense. Je ne les juge pas. Et je les admire. Mais je crois qu’ils devraient accepter l’inéluctable et prendre leur retraite. Et venir rouler avec moi seulement pour le plaisir. Des regrets ? Aucun à titre personnel. Un seul à titre amical. Celui de n’être pas parvenu à convaincre Leblanc de faire courir Pantani sur le Tour de France 2003. Cela lui aurait sans doute sauvé la vie. »

Quelques jours après notre rencontre, Mario, 52 ans, a été victime d’un malaise cardiaque alors qu’il était au tribunal de Lucca pour régler ses problèmes judiciaires avec son ex-épouse. Hospitalisé un peu plus tard à Ancône, il a subi une petite intervention cardiaque. Il récupère actuellement. La rédaction de Top Vélo lui adresse ses vœux de prompt rétablissement.

Championnats du Monde 2002. Au sommet de sa gloire Mario Cipollini a revêtu le maillot arc en ciel. Il a triomphé de Robbie McEwen et Erik Zabel.

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