Les légendes ne meurent jamais

par | Mar 17, 2021 | Point de vue

À l’image de Jaguar qui célèbre les 60 ans de sa mythique Type E et de Lamborghini qui honore son fondateur avec les 50 ans de son extraordinaire Countach, il y a dans le domaine du cyclisme des marques de légende dont les chefs d’œuvres sont à jamais inoubliables et indémodables.
Parc des Eaux Vives, Genève,15 mars 1961. Sir William Lyons présente à la presse la Type E.

Parallèle édifiant entre l’automobile et le cyclisme, la permanence de modèles et de marques ayant écrit l’histoire. Jaguar, Lamborghini, Lancia, Ferrari, Bugatti ou Masi, Cinelli, Colnago, De Rosa, Pinarello. Avec des modèles illustrant avec un infini talent et un inimaginable savoir-faire les capacités humaines à inventer la beauté ultime et la permanence des valeurs de la Renaissance à l’âge du consumérisme abscons et du marketing roi.

Imaginée par Sir William Lyons et concrétisée par William Heynes (chef ingénieur), Malcom Sayer (dessin), Walter Hassan (moteur) et Norman Dewis (chef des essais), la Jaguar Type E fut considérée par Enzo Ferrari lui-même comme un chef d’œuvre absolu.

Voulue par le démiurge Ferruccio Lamborghini et dessinée par le légendaire Marcello Gandini, conçue par le génial Paolo Stanzani et mise au point par le célèbre Bob Wallace, la Countach explosa le monde policé des automobiles sportives. Imposant le non conformisme technologique et le brutalisme esthétique comme des valeurs révolutionnaires.

Ces deux chefs d’œuvres figurent aujourd’hui au tout premier rang dans les musées d’art moderne. Inoubliables et indémodables. Un étrange paradoxe alors que la majorité de leurs contemporaines sont très vite entrées dans l’oubli des formes et des sens.

Jaguar E-Type Genève 15 mars 1961

Le Speciale Corsa de Masi, le Master de Colnago, le Super Corsa et le Laser de Cinelli, le Servizio Corsa de De Rosa, autant d’œuvres d’art à la fois intemporelles et magiques.
Conçues et imaginées par des artisans-artistes, ces bicyclettes-joyaux demeurent aujourd’hui encore objet de désir et de culte pour des milliers de passionnés désireux de côtoyer le mythe en échappant aux contraintes économiques et culturelles du marketing et du futile. Masi, Colnago, Cinelli et De Rosa produisent toujours chaque année plusieurs centaines de ces modèles pour satisfaire un public désireux de s’approprier une part du mythe.

Mais cette indéfectible attirance pour les légendes n’est pas seulement le fait de nostalgiques impénitents en quête de vestiges de leur passé. Il s’agit plutôt d’un transfert éthique et esthétique d’un affect culturel pour des objets venant infirmer la litanie absurde du progrès pour le marketing. Un feeling sensoriel quasi métaphysique avec des œuvres d’art confrontées aux productions de masse, avec leurs nouveautés aussitôt produites aussitôt oubliées ou niées.
Les tubes Colnago Esa Mexico font toujours référence en matière de design.
40 ans, et pourtant le Master continue de se vendre et d'alimenter la légende Colnago.
Le Laser de Cinelli a fait date dans l'histoire du cyclisme et de l'art. Ici avec Antonio Colombo.
Exposition Columbus à Milan.
Une Jaguar de soixante ans demeure un absolu de beauté et de technique. Un Colnago de vingt ou trente ans demeure à jamais un chef d’œuvre. Les marques concurrentes diffusent à des millions d’exemplaires des modèles très rapidement voués à l’oubli ou à la ringardisation. Avec une inéluctable chute de valeur que les pontes du marketing postmoderne se gardent bien d’évoquer et encore moins de justifier.
Il ne s’agit en aucun cas de nier les vertus du progrès technologique ou de l’évolution du design. Mais plus naturellement de mettre en lumière la dichotomie entre le futile et l’essentiel. Le comble étant objectivement l’enlaidissement et l’alourdissement progressif des voitures et des vélos sous le prétexte risible de progression technique ou sécuritaire. Comment ne pas s’insurger face cette contre-culture antimoderne ? Comment ne pas signaler le trou noir idéologique constitué par les pathétiques arguties de multinationales guidées par la seule contrainte du profit ?
Il faut s’être installé une seule fois dans une Jaguar Type E ou une Countach pour comprendre la différence. Il faut avoir chevauché une seule fois un Colnago Master ou un Cinelli XCR pour saisir l’ampleur du bonheur généré par ce qui est une œuvre plutôt qu’un produit.
Les Légendes ne meurent jamais. Définitivement !
Maître du design, Marcello Gandini n'a jamais été égalé. Il a pourtant dessiné la Miura en quelques semaines. Même chose pour la Countach. Un parallèle avec le monde du vélo, les tubes Master sont nés sur un menu, dessinés en quelques minutes dans un avion... Credit: Alessandro Grassani for CNN
Marcello Gandini, Nuccio Bertone et Paolo Stanzani.
10 ans jour pour jours après la Type E, la Countach crée l'évènement au salon de Genève. Toujours un mythe, 50 ans après...
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