L’avenir du cyclosport en question

par | Avr 20, 2021 | Magazine, Point de vue

L’annonce surprise de l’annulation de la mythique Ardéchoise fait l’effet d’une bombe médiatique à l’heure où la pandémie de Covid 19 continue de remettre en cause la pratique sportive et culturelle. Entre nécessaire réflexion citoyenne et soif de liberté, où va le cyclosport ? Révolution culturelle ou disparition…

Alors que pour la deuxième année consécutive les épreuves s'annulent les unes après les autres, une véritable crise s'annonce dans le monde du cyclosport.

Pour la seconde année consécutive, la plus emblématique et la plus exemplaire des épreuves cyclosportives françaises annonce sa décision de baisser le rideau afin de se conformer à l’esprit et à la lettre des mesures sanitaires prônées par le gouvernement d’une part et par la Commission européenne d’autre part.

Une décision qui semble paradoxalement ne pas aller de soi et surtout ne pas faire l’unanimité dans les rangs des organisateurs. Organisateurs que l’on peut diviser en deux catégories éthiquement opposées mais concrètement unies par un même objectif : offrir le parfum de l’aventure et de la compétition au plus grand nombre.

Deux catégories d’organisateurs donc. Les purs bénévoles animés par la seule passion du partage de valeurs. Les pros, pour qui le cyclosport constitue, quoiqu’ils en disent, un business rentable.

Pour les premiers, inventeurs du cyclosport, une annulation est certes un crève-cœur. Mais pas un drame économique. La majorité ne fonctionnant qu’au travers du bénévolat et du soutien des collectivités publiques et des sponsors. Il est donc plus facile pour ce type d’épreuves, qui vont de la petite cyclo comme la Granfondo Luberon, à la cyclo historique comme l’Ardéchoise, de renoncer à organiser une ou deux années pour agir en structure associative responsable compte tenu de la pandémie.

Pour les seconds, initiateurs du cyclosport comme alternative économique et comme business, la pilule est plus difficile à avaler. Car renoncer à l’organisation d’une épreuve c’est se priver de revenus. Et l’on a ainsi vu la saison dernière des cyclosportives organisées en mai ou juin alors que toute la France ployait sous les contraintes sanitaires. Avec par exemple la totalité des établissements culturels fermés en dépit de leur volonté manifeste de se conformer aux mesures strictes de limitation des quotas énoncées par l’autorité sanitaire et le gouvernement.

Ici aux côtés de Jean-Christophe Rattel et Johan Musseuw, Gérard Mistler vient d'annoncer l'annulation de l'Ardéchoise pour 2021.
Départ de la Granfondo Luberon Top Vélo Mormoiron, c'était en 2019. L'édition 2020 et l'édition 2021 sont annulées...

Une année plus tard rien n’a changé, sinon en pire. Sous le soleil d’un troisième confinement, alors que les épreuves amateur – notamment celles réservées aux jeunes – sont systématiquement privées d’autorisations préfectorales et donc annulées, voici que se dessine à nouveau la bataille entre les cyclos citoyennes et les cyclos business. Un distingo encore une fois pas si simple à définir, même si chacun sait la différence existante entre La Marmotte d’Olt et l’Étape du Tour. Le succès public ahurissant de l’une n’enlevant rien à la valeur de l’autre. « Question d’éthique et de logique », ainsi que le déclare en souriant l’ex-Champion du Monde Alessandro Ballan qui semble ne plus comprendre les dérives d’une pratique plaisir devenue folle. Aussi bien côté coureurs que côté organisateurs.

« Lorsque l’on tente de retrouver sa jeunesse en disputant des épreuves de type granfondo, on doit viser le plaisir. Seulement le plaisir. Sinon on touche au ridicule. Et on perverti l’esprit cyclo des origines. Se lancer dans des préparations de type professionnel à 50 ou 60 ans est tout simplement ridicule. Comme le fait de risquer sa vie en prenant tous les risques dans une descente pour gagner une médaille de finisher ou une coupe de vainqueur. Vainqueur de quoi d’ailleurs ? Alors il est évident que les organisateurs de cyclos se doivent de donner l’exemple et de se conformer aux directives sanitaires en annulant si besoin leurs épreuves. Que je sache la Granfondo Coppi n’est pas le Giro ou le Tour. Et lorsque je vois que l’on limite de manière drastique l’accès aux courses professionnelles à quelques dizaines de suiveurs et à 200 coureurs, je ne comprends pas la folie de ces rassemblements de milliers de cyclos. C’est mon avis évidemment. »

Un avis globalement partagé par Patrick François, le Président de l’AEC, l’association européenne du Cyclosport.

« Je comprends et je partage la peine de mon ami Gérard Mistler de voir sa fantastique Ardéchoise annulée pour la seconde année consécutive. Mais je salue aussi le sens de la responsabilité de son équipe. Il faut savoir se montrer exemplaire comme organisateur et comme pratiquant. Comment ne pas comprendre que le vélo est un sport citoyen qui doit respecter la logique des contraintes imposées à tous les acteurs de la vie sociale par la pandémie. Je rappelle que la France vient de passer le cap terrifiant des 100.000 morts. Face à ce chiffre hallucinant quelle est l’importance de l’annulation ou pas d’une banale cyclosportive ? Soyons sérieux ! Même si je comprends les doutes et les craintes des organisateurs pour qui une cyclo est un business, c’est à dire une activité économique vitale, je ne peux accepter de voir notre sport montré du doigt pour un comportement égocentrique et anti-citoyen. Que font les directeurs de théâtres ou de musées ? Ils déplorent eux aussi mais ils ferment leurs établissements. Et que font les organisateurs de festivals. Ils déplorent mais ils annulent leurs spectacles. Que l’on ne vienne pas me dire que la culture est moins essentielle que le sport. Personnellement j’ai pris la décision d’annuler cette année encore mes deux épreuves. Décision difficile mais décision citoyenne dont je suis fier. »

L'AEC, l'Association Européenne du Cyclosport espère passer outre la crise qui menace le monde du cyclosport.
Soulevée tout à la fois par Alessandro Ballan et par Patrick François, la question de l’avenir du cyclosport dans sa version actuelle est bel et bien posée. Avec la sempiternelle formule : comment ne pas aller trop loin ?
Ainsi que Ballan le rappelle, le cyclosport est né il y a un demi-siècle en Italie d’une immense volonté de partage d’émotions autour de la pratique du cyclisme comme loisir sportif. Des valeurs rapidement reprises en France, notamment par la Marmotte, et bientôt répandues partout en Europe et dans le Monde. Il ne s’agissait pas alors d’organiser de vraies compétitions. Personne ne parlait de performance et encore moins de dizaines de milliers de kilomètres d’entrainement pour être ne serait-ce que compétitif. Dérive dangereuse qui allait bientôt hélas pervertir l’esprit initial du cyclosport et nous faire entrer dans l’univers fou de la performance athlétique illusoirement à la portée de tous et toutes. A la condition évidemment de disposer de suffisamment de temps pour s’entrainer un minimum de vingt heures par semaine et de suffisamment d’argent pour disposer du matériel nécessaire. Sans parler naturellement des autres dérives, liées au dopage médicamenteux ou technologique. Stefano Varjas, inventeur du fameux vélo furtif, nous expliquant sans fausse pudeur que ses principaux clients n’étaient pas les champions professionnels mais les cyclosportifs.
A l’orée de 2020, l’esprit cyclosportif était mort. Il faut en avoir conscience. La crise sanitaire, entre égoïsmes financiers et déceptions fédérales, aura au moins permis de ne plus se voiler la face et de tenter de répondre au paradoxe d’une pratique en croissance aussi exponentielle que ses dérives éthiques. Pour Patrick François il faut désormais aspirer à autre chose. Et imaginer un nouveau cyclosport.

« Comme organisateur, comme Président de l’AEC, comme pratiquant surtout, je sens que le point de non-retour aura sans doute été atteint cette année. Il faut en prendre conscience. Et ne plus accepter de poursuivre dans une voie sans autre issue que l’absurde de situation et de comportement. Le cyclosport doit en revenir à ses valeurs originelles. Et arrêter sa marche en avant un peu folle vers toujours plus de difficultés, toujours plus de kilomètres et toujours plus de compétitions dépourvues de sens. Si l’on n’est pas parvenu à gagner des courses entre 14 et 20 ans on ne va pas refaire une carrière à 50 ou 60. Ce serait pathétique. Sauf dans le cadre d’une pratique sportive ludique et sans prétention de type Master. Avec des kilométrages raisonnables. Sinon, jouer les pros à 50 piges alors que l’on n’a jamais rien gagné à 20 ans c’est ridicule. Et pire encore dans le cadre de ces vieux jeunes de 30 ans qui ne sont pas parvenus à s’imposer chez les espoirs et qui viennent jouer la gagne face aux vieux. Vraiment je crois que cette pause forcée pourrait-être salutaire. Et mener à une réflexion globale sur l’activité. Avec par exemple, la fin des kilométrages extrêmes et surtout la fin des classements. Moi je crois beaucoup personnellement, à l’exemple des épreuves de type Eroica ou Mitica. Avec le plaisir de la pratique et de la découverte comme seuls objectifs. »

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