La saga Victoire

Voyage au centre de la France
Rien n’a changé mais tout a changé. Sauf la rue et le sourire. En moins d’une décennie de passion et de rêve, le garçon est parvenu à imposer l’Auvergne comme un lieu important dans le contexte du retour aux sources de l’épopée cycliste. Cette époque pas si lointaine où l’industrie du vélo cohabitait harmonieusement avec l’artisanat. Ce dernier intervenant régulièrement en complément, notamment par la réalisation de cadres spéciaux sur mesure pour tel ou tel champion, pour telle ou telle marque. Ombres glorieuses élaborant les armes de champions désireux d’obtenir le meilleur. Il faut se souvenir de Faliero Masi réalisant ainsi les cadres de Coppi ou d’Anquetil, d’Ernesto Colnago réalisant les cadres de Magni, de Motta et de Merckx, de TVT œuvrant sur les révolutionnaires cadres carbone d’Ocana, de Ugo De Rosa, René Herse, Pierre Caminade ou Alex Singer entre autres. Tous artisans artistes, comme l’est devenu Julien Leyreloup, fondateur et patron de Victoire. Cette jeune marque d’exception qui fascine depuis le premier allumage de chalumeau il y a une dizaine d’années bientôt.

A l’origine, avec un groupe de passionnés, de la renaissance du fameux Concours de machines, destiné à confronter chaque année les réalisations de quelques-uns des meilleurs artisans au Monde, Julien Leyreloup a connu cette année le bonheur d’une nouvelle consécration. C’est un Victoire qui a remporté ce challenge en forme d’apologie de la Renaissance du métal. Et c’est Victoire encore qui a été invitée par la prestigieuse
marque Chris King à venir partager son savoir avec des artisans américains.
L’atelier, où œuvrent aujourd’hui trois soudeurs, est réorganisé autour des nouveaux objectifs, des nouvelles attentes, des nouvelles ambitions. Plus vaste, mais toujours aussi évocateur d’artisanat. Il donne plein ciel vers le plateau de Gergovie, ce haut lieu métaphysique où les guerriers de Vercingétorix pour la première fois dominèrent les légions de César. Une Victoire en forme d’ADN pour Victoire.
Signe manifeste d’une avancée avérée vers le 100% « fait maison », une cabine de peinture complète désormais le dispositif. Julien y tenait. Tellement qu’il s’est lui-même formé à la décoration des cadres. Avec humilité et enthousiasme. Avec fierté aussi. Chez l’un des meilleurs spécialistes à Londres.
« Brexit ou pas, l’Europe a du bon. Elle est le creuset de valeurs et de savoir-faire uniques dans le domaine du cycle. La France naturellement, mais aussi l’Italie et l’Angleterre. Tout est parti de ces trois pays. De ces trois identités. Chez Victoire nous sommes à la fois la conséquence et la résultante de cette histoire. Avec une volonté d’avancer de concert avec des partenaires qui ont fait l’histoire du cycle. Par exemple Columbus et Campagnolo. Deux labels uniques, deux pionniers irremplaçables. Deux manufactures dans le sens le plus noble du terme. »

L’obsession de Victoire pour l’histoire peut paraitre naïvement obsolète et même absurde pour les petits marquis du marketing international. Ces mercenaires ignorants qui oublient avec arrogance Fausto Coppi, Jacques Anquetil ou Eddy Merckx. Au point de résumer leurs ambitions au mercantile asiatique où les nouveaux grands prêtres de la finance internationale ont décidé de cantonner les marques qu’ils lancent ou rachètent.
Julien et ses équipiers réinventent le plaisir et le bonheur. Avec une logique autre. Et ils sourient de la surprise, de moins en moins méprisante, d’un milieu devenu abscons à force d’ignorer les valeurs fondamentales du cyclisme.
« Ce qui est le plus amusant c’est que ces mêmes grands spécialistes du marché international nous accusent maintenant d’être trop médiatiques. Et pourquoi pas trop littéraires ou pire trop poétiques. Ils prennent l’histoire à contre sens exactement. Après avoir pris les cyclistes pour des gogos ignorants. Audiard aurait écrit de belles répliques à leur intention. Nous on préfère sourire et continuer de rêver et de travailler avec acharnement. »
Victoire n’est pas un concept mais une histoire. Une belle histoire. Autour d’une autre voie. Quelque chose comme un antidote à la fatalité du marché. Je ne sais pas si leurs vélos sont meilleurs, mais ils sont différents. Comme leurs clients. Et ils proposent, au-delà de la pratique sportive, une réflexion culturelle et citoyenne. Un supplément d’âme et de plaisir qui touche à la fois à la quête du bonheur et au manifeste existentiel. La grâce de l’acier brasé venant effacer les tourments pathétiques générés par un marché qui tourne en rond comme une machine folle ayant échappé à son créateur.




Julien Leyreloup situe en janvier 2011 la naissance de Victoire. Comme un acte de résistance personnel d’abord, puis comme l’affirmation d’un droit-devoir à la résistance face à l’uniformisation du marché.
« J’étais devenu hyper-sensible à l’absurdité de l’époque. Avec un marché occupé par des marques devenues multinationales financières en oubliant souvent les volontés initiales de leurs fondateurs qui était de créer à leur tour des marques pouvant aspirer à devenir légendes. Je travaillais alors pour une société qui me chargeait de concevoir et de faire réaliser en Asie des composants. Je me suis rendu compte avec effarement que ma vie allait être immanquablement indexée sur le marché et ses diktats. Et qu’elle ne correspondrait en rien à mon désir d’écologie, de nature, de simplicité et d’authenticité. De ce constat un peu effarant est né ma volonté de faire autre chose dans le domaine du vélo. Par exemple de concevoir et de réaliser des machines simplissimes belles et authentiques. Des fixies. Nous étions en 2010. Rêver c’était bien déjà. Mais il fallait concrétiser. Évident mais pas simple. »
A contre-courant de la vague carbone qui venait de tout emporter, marques et champions, Victoire devient très vite la référence de la contre-culture cycliste. Ilot de résistance dans un monde submergé par le réalisme marchand de gestionnaires apprentis sorciers qui ne viseraient désormais plus un bénéfice de 30 % mais une plus-value hallucinante de 1000%. Ceci à leur seul profit puisque les dindons de la farce tragi-comique sont autant les vélocistes que leurs clients. Sans parler évidemment de l’effarante trace carbone générée par ces machines venues de l’autre bout du monde dans ces navires géants hyper-pollueurs que sont les cargos porte-conteneurs. Chacun polluant lors d’un seul trajet autant que 50 millions de voitures particulières (source Le Monde).


Du fixie à la randonnée et à la course il n’y qu’un ou deux pas très vite franchis. Victoire devient en peu de temps une nouvelle référence dans le contexte du retour aux vertus du métal. L’acier en l’occurrence. Victoire n’est certes pas le seul artisan à se référer aux sources héroïques du cyclisme. Mais il est le premier constructeur artisanal à rendre intelligible et soluble dans la modernité son rêve de retour aux sources. Avec à l’esprit qu’aujourd’hui encore le mythique record de l’ascension de l’Alpe d’Huez est détenu par un certain Marco Pantani sur un vélo en tubes Columbus Altec ! Aucun athlète sur un mirifique vélo carbone n’est parvenu à battre ce record qui tient depuis juillet 1995. Pas plus Jan Ullrich que Lance Armstrong ou Alberto Contador. Temps à Battre : 36 minutes et 40 secondes. Sur un vélo acier !
Autres temps sans doute. Mais aussi autre culture du vélo. Avec des machines conçues et réalisées dans des ateliers locaux. Par des artisans artistes. Pour des athlètes romantiques et baroques.
Et que dire des formidables records de l’heure de Merckx, Moser ou Rominger, eux aussi réalisés sur des vélos acier par des maitres artisans de génie…
Comme le montrait l’insurpassable Jacques Anquetil, point n’est besoin de disposer d’un vélo carbone pseudo aéro pour réaliser des moyennes de 50km/h. Le talent suffit.
Inspiré par toutes ces légendes, décidé à tout faire pour concrétiser ses rêves d’acier, Julien Leyreloup, regard mélancolique et silhouette juvénile, a franchi toutes les limites du raisonnable pour parvenir à faire de sa marque un graal pour des amateurs éclairés. Qu’il s’agisse de fixie, toujours, mais aussi de vélos de randonnée, de gravel ou de course. L’acier redevient référence élémentaire. D’autant que depuis le milieu des années quatre-vingt-dix le métal a fait des progrès considérables. Permettant aux fabricants de proposer des séries de tubes réellement légers et performants. Comme par exemple la dernière série Cento lancée par Columbus à l’occasion de son centenaire. Des tubes de 4 dixièmes qui laissent envisager la réalisation d’un vélo complet au poids réglementaire fixé par l’UCI, soit 6 kilos 800 avec les pédales. Et ce alors que bon nombre des vélos carbone du peloton pro dépassent allégrement les 7 kilos, voire les 7 kilos 500.
Là aussi Julien et les siens œuvrent avec enthousiasme. Au service de cyclistes exigeants, décidés à engager le dialogue afin d’obtenir le vélo de leur vrai choix. Et qui ne veulent plus se contenter d’un vague discours marketing leur faisant croire que le désir du mieux n’est guidé que par l’image accolée au produit. Et plus jamais à sa réalité technique ou à sa légitimité culturelle.
« Dès les premiers vélos Victoire nous avons engagé avec nos clients un dialogue préalable. L’important étant de ne rien imposer qui ne soit le fruit de ce dialogue éclairant le choix final. Qu’il s’agisse de géométrie, de poids, de couleur ou bien évidemment de montage. En expliquant par exemple au client qu’il vaut mieux privilégier une paire de roues haut de gamme plutôt qu’un groupe. Un vélo c’est d’abord un cadre et une paire de roues. Pas une étiquette sur un carton d’emballage portant la photo d’un champion du Tour ou du Giro.
Alors nous passons beaucoup de temps à cogiter avant de figer la définition du futur vélo. Évidemment cela prend du temps. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de vélo Victoire prêt à l’emploi. Le client doit comprendre et accepter que l’exclusivité absolue, ce précepte qui fait qu’il n’y a jamais chez nous deux vélos identiques, a un temps donné de création. En moyenne de dix-huit mois. Un délai incompressible ! Car nous repartons de zéro à chaque fois. Notre credo c’est le sur mesure intégral. Avec, par exemple, l’obligation pour le client de venir passer une journée à l’atelier. »


En prêt à porter ou plutôt en prêt à rouler, voici Distance la nouvelle marque de Victoire. Six couleurs spécifiques et neuf tailles.
La solution accélérée, relativement s’entend, existe pour les plus pressés. Choisir un Distance. La nouvelle marque de l’équipe Victoire. Pour un vélo proposant en prêt à porter tout le savoir-faire de Victoire. Et ce avec un maximum de trois mois d’attente.
« Distance c’est notre marque de vélos standards. Dans le sens du temps gagné pour le client ne désirant pas attendre plusieurs mois son nouveau vélo. La gamme, entièrement réalisée ici à Beaumont chez nous, comporte déjà quatre modèles. Deux vélos de route en 25 et en 30. Deux gravels en 35 et 45. Les cadres sont soudo-brasés à partir de tubes Columbus Spirit. Et ils sont disponibles en neuf tailles du 48 au 62. Naturellement les cordons de soudure sont polis à la main. Les fourches sont des Columbus carbone. Six couleurs pailletées spécifiques à Distance sont proposées. Le kit cadre est commercialisé au tarif de 2490 euros. Avec une garantie de cinq ans. En vélo complet, chaque modèle Distance est disponible avec trois options de montage. Nous avons voulu proposer une alternative Victoire à Victoire. L’essence de Victoire sans le sur-mesure. Mais avec la même qualité de fabrication et la même exigence technique. »
Après l’atelier, voici le show-room. Un espace d’exposition et de réflexion où les clients sont les bienvenus. Julien aime à s’y retrouver. Pour parler. Pour réfléchir. Pour rêver aussi sans doute. A d’autres défis. Par exemple la réalisation prochaine d’un Victoire ultime à la demande de Top Vélo. Une collaboration entre notre magazine et Victoire avec le soutien de Columbus et de Campagnolo. L’objectif est un hommage aux cent ans de Columbus avec une machine utilisant la série limitée Cento. Monté en Campagnolo Super Record avec des roues Bora 35 à boyaux, le Victoire Cento devra peser aux environs de 6 kilos 500. Comme une déclaration de guerre au carbone ? Pas du tout. Plus simplement comme la démonstration éclatante que des alternatives existent. Les rêves sont plus beaux lorsqu’ils se réalisent. A Beaumont ou ailleurs…