La mystérieuse saga fi’zi:k

par | Août 21, 2019 | Reportages

Le Tour de France 2019 a vu monter sur le podium final trois coureurs utilisant les selles fi’zi:k. Une performance absolument inédite pour un manufacturier. D’autant que le trio utilisait deux marques de cycles différentes. Pinarello pour Egan Bernal et Geraint Thomas, Bianchi pour Steven Kruijswijk. A ce « total podium » du général, il faut rajouter la victoire au classement par équipe du team Movistar emmené par Alejandro Valverde et Nairo Quintana. Des performances ahurissantes encore complétées par la victoire sur le Giro de Richard Carapaz.
Qu’il s’agisse des selles avec ses modèles phares Antares et Arione, ou des chaussures avec le modèle Infinito, fi’zi:k a imposé sa vision des choses du cyclisme. Une alliance entre apologie du biodesign, hi-tech, performance et style. Un fait culturel autant qu’industriel et marketing.
Mais en fait que cache l’étrange sigle fi’zi:k ? Reportage en Vénétie…

au delà des conventions et de la forme, des objets de désir

Flash-back. Souvenez-vous. Le fameux « Killer », alias Danilo Di Luca, dominait le peloton avec son Bianchi FG Lite alu blanc monté en Campagnolo Record. Ce vélo, désormais mythique et introuvable en version originale 100% alu Deda, était doté d’une selle révolutionnaire au nom improbable : la fi’zi:k Arione. Élégante comme une épée de Damas, longue comme un jour sans pain, elle démodait immédiatement tout ce qui existait alors. C’était il y a une éternité…En 2005. La révolution fi’zi:k déferlait sur la planète cycliste.
Nous avons naturellement voulu en savoir plus. Car outre les selles, de plus en plus belles et techniques, sont venus les cintres, les potences et même les chaussures. A chaque fois un incroyable succès commercial et une gifle technologique à la concurrence. Avec une signature ésotérique qui reprend les codes esthétiques chers à Le Corbusier ou Eileen Gray.
Mais en fait, que cache l’étrange sigle fi’zi:k ? Rien d’autre que la volonté du groupe Selle Royal, leader mondial dans la fabrication de selles de vélo, d’accéder au sommet esthétique et technologique avec une marque dédiée.

Au détour d’une route de Vénétie, un trait de béton et de verre illumine un parc ombragé. Nous sommes chez fi’zi:k, mais aussi chez Pedaled et Brooks, les autres marques de la famiglia. Émanation du groupe mondial Selle Royal, fi’zi:k n’est pas qu’un sigle ésotérique jeté à la face du marché. Plutôt un nouveau manifeste esthétique et technologique élaboré pour un autre type de cyclistes. Ceux qui ne conçoivent pas la pratique de leur sport dans la banalité des formes et des concepts. La selle, réinventée par des ingénieurs artistes, est devenue alors objet de singularité, de confort et de performance. Elle se veut surlignage de la machine. Pas accessoire.
Le lieu tient autant du musée d’art contemporain que du campus californien. Difficile à aborder sans laisser au vestiaire les conventions et les à priori. Car ici la différence n’est pas une formule marketing, plutôt une réalité existentielle.
L’accueil d’abord, qui me fait songer immanquablement aux préceptes du designer finlandais Alvar Aalto. Avec une architecture à la fois chaleureuse et mystérieuse. Comme tout ce qui entoure le mythe fi’zi:k. Avec une fonctionnalité romantique et rigoureuse qui ramène le sport à son juste rang de discipline artistique. Avec une humanité trop souvent laissée de côté désormais. Avec une volonté intellectuelle évidente de partage. Et surtout la mise en avant de la transcription phonétique du terme physique désignant la forme du corps humain. Un concept digne de Leonard de Vinci et de son célèbre homme de Vitruve qui avait l’ambition de montrer à travers la science et l’art toute la perfection du corps humain.
Erica Randi, allure sportive et tout sourire, nous attend à l’accueil. Un vaste hall en forme de galerie d’art. Une parfaite introduction graphique à l’univers fi’zi:k. Une démonstration de minimalisme esthétique appliqué à l’industrie. Ou plutôt une vision industrielle en forme de manifeste esthétique.

Responsable des relations avec les teams et en charge du sponsoring, Erica est ravie de pouvoir parler italien. Pour une fois…
« En général nos visiteurs réclament de l’anglais. Naturel évidemment aujourd’hui. Mais c’est plus facile d’expliquer une philosophie italienne en italien. Question de subtilité de la langue. Subtilité qui se retrouve esthétiquement et technologiquement dans tous les produits fi’zi:k. C’est un peu comme traduire Dante. Ou mieux encore Leonardo, Giotto ou De Chirico. Sans vouloir le moins du monde exagérer, fi’zi:k relève en effet autant de la création artistique que du produit industriel. Depuis 1996 la société Selle Royal, l’un des leaders mondiaux du secteur, a voulu se doter d’une marque différente destinées aux cyclistes connaisseurs. Ceux qui ne considèrent pas seulement leur vélo comme un simple outil de pratique sportive mais aussi comme un objet d’art et de désir. Nos selles et nos composants viennent ainsi sublimer ces objets d’art que sont les vélos de course et de sport. »
Erica sourit encore. Comme pour s’excuser de son enthousiasme. Elle nous présente Carlo Ferrero, le directeur du marketing. Allure sportive, il pratique lui aussi le cyclisme quotidiennement, il offre au visiteur une poignée de main franche et un regard amical.
« Bienvenue chez fi’zi:k dottore Lombardo. Nous recevons assez peu ici. Car nos explications sont évidemment intégrées à nos produits. Chaque selle ou chaque composant signé fi’zi:k est une apologie de notre pensée et de notre savoir-faire. Mais nous sommes heureux de vous accueillir. Et de partager non seulement notre vision mais aussi la réalité de notre travail que nous situons entre artisanat d’art et industrie Hi-Tech. Ici nous sommes tous et toutes tournés vers le futur. Mais un futur cultivé qui s’enracine dans une tradition esthétique et industrielle. Vous allez voir que fi’zi:k n’est pas qu’un rêve d’ingénieur et surtout pas un produit hors sol. Encore une fois bienvenue. Et belle découverte de fi’zi:k avec Erica. Promis, on ne vous cachera rien. Vous pourrez tout voir. Tout demander. Mais pas tout montrer à vos lecteurs. Car certains prototypes sont encore en phase d’évaluation. Et quelques process sont des secrets industriels maison. »

Erica pousse une porte et c’est tout l’univers fi’zi:k qui s’offre à nous. Les lumières, particulièrement élaborées, transforment et organisent les espaces. Ici le long couloir d’accès aux différents lieux de pensée et de travail. Comme une introduction, un prélude esthétique à ce qui va suivre. Les bureaux, aménagés comme des lieux de création intellectuelle et artistique, les espaces de vie, avec réfectoire-cuisine pittoresque et salle de réunion et de spectacle toute de noir revêtue, les corridors version retrofuturiste de la galerie d’art, les ateliers enfin. Immenses et graphiques. Vision post-moderne de l’industrie italienne revenue des diktats impérieux du capitalisme obsolète.
Les installations techniques, les outils de manufacture, les postes de travail, sont autant de points de rencontre entre l’industrie la plus aboutie, la plus robotisée et l’artisanat traditionnel. Certains postes de fabrication, organisée par secteurs, regroupent ainsi deux ou trois techniciens au savoir-faire manuel irremplaçable. Les selles, dont la coque de polymère ou de carbone a préalablement été injectée ou pressée dans un sublime carrousel arachnéen, sont montée à la main par deux personnes agissant de concert dans un incroyable ballet d’artisans pour positionner infailliblement le revêtement de Lorica ou de cuir.

Nous avançons entre deux mondes, deux univers, deux visions, deux concepts qui se conjuguent à l’imaginaire pour donner vie à des selles ou des composants qui viendront littéralement sublimer esthétiquement nos machines et assurer confort et performance. Ici l’on comprend que la beauté n’est pas indissociable de la performance. Comme autrefois le groupe de design Memphis du grand Ettore Sottsass, l’univers fi’zi:k est une explosion d’idées, de couleurs, de formes novatrices et surtout d’imaginaire. Ainsi ses nouveaux chapitres rajoutés au livre d’art maison. Brooks, réinventé à même la mémoire british, et Pedaled, inventé comme l’introduction du cyclisme dans la vie quotidienne du citoyen acteur.
Au détour d’une litanie de couloirs en clair-obscur, rencontre avec les hipsters vénitiens ou milanais en charge du design de l’univers Pedaled. Souriant et songeurs, facétieux aussi du bon tour joué à ces anglais qui ont cru devoir-pouvoir s’emparer des éléments de mémoire du cyclisme historique. C’est à dire italien, belge ou français.
« Le cyclisme n’est pas un sport comme les autres. Il symbolise pour nous cette aspiration au phénomène de société du sport ultime destiné à changer le monde et les objets qui vont avec. Nos créations sont les accessoires non accessoires qui accompagnent idéalement le changement d’attitude et de style. Le cycliste d’aujourd’hui a une aspiration pop à la liberté esthétique. Nous lui offrons les outils de cette liberté. »

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