La montagne, un autre monde ; de l’ennui et de la salubrité métaphysique

 

Entre faste et fantasque, le pittoresque et charismatique champion Slovaque Peter Sagan trouve régulièrement la formule juste à propos de tout et de rien. Mais du cyclisme contemporain surtout. Comme une apologie métaphysique sur la salubrité mentale ou émotionnelle d’un sport qui l’a fait roi en une époque pauvrissime en héros. Dernière formule choc d’un homme absent-présent qui ne fait jamais dans son froc : « le cyclisme devient ennuyeux ». Allusion non dépourvue d’humour noir, toujours ce noir qui ruine le romantisme du cyclisme, à l’insupportable litanie de ces étapes et de ces courses qui voient le long serpent du peloton jouer les utilités le temps infiniment lent d’interminables journées sans batailles et donc sans spectacle. Ainsi, le Tour 2018, ce Tour qui promettait tant, aura manqué à ses devoirs vis à vis d’un public à la fois désenchanté et coléreux. Et je ne parle pas là des usurpateurs de rêve et de liberté, souvent imbibés d’alcool, qui se croient autorisés à insulter les coureurs qu’ils conspuent et violentent même parfois en évoquant avec aplomb une hypothétique rigueur morale dont ils ne connaissent rien. Sur la route, hélas, mais aussi et surtout sur les réseaux sociaux devenus fosses d’aisance de la pseudo bonne conscience d’amateurs de sport en déshérence.

Non la réalité saganienne, qui rapproche étrangement Peter de Françoise, l’autre Sagan, tient dans l’allongement excessif du temps face à la réduction tout aussi excessive des émotions. Générant l’ennui puis le désintérêt.

Les longues, longues, longues étapes de plaine sont naturellement en cause. Avec leurs échappées publicitaires et leurs inévitable dénouement joué dans les cinq cent derniers mètres. Mais il y a la montagne, me direz-vous. Avec leurs sommets arrogants et menaçants. Et le souvenir des exploits de Vietto, Bartali, Coppi, Bahamontes, Merckx, Ocana ou Pantani.

La montagne, cet autre monde. Cet absolu. Et bien pas si simple selon Sagan, Peter pas Françoise. Car là aussi l’ennui nous guette. Cet ennui cher à Françoise, pas à Peter. Car ainsi que le disaient en pestant Jacques Goddet et Raphael Geminiani, « ce sont les coureurs qui font la course. Pas seulement les organisateurs. »

Alors voilà que le Tour ou le Giro proposent à nouveau des étapes mythiques avec cinq ou six cols de légendes à gravir. Bataille garantie à tous les étages de ces maison hantées que sont devenus les grands tours. Pas si simple. La métaphysique du sport et des athlètes est complexe. Car le plus souvent, la peur d’avoir peur sans doute, les coureurs décident de ne pas décider. Se réfugiant dans un attentisme insupportable et nous plongeant dans l’ennui. Cet ennui qui touche désormais les champions eux-mêmes. Y compris un triple Champion du Monde comme Peter Sagan.

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