Les Champions des Champions

Eddy Merckx

par | Avr 23, 2020 | Les champions des champions

Eddy Merckx compte plus de victoires que Fausto Coppi, Louison Bobet et Jacques Anquetil réunis. 625 succès au total, dont 525 sur route et 98 sur piste. Un palmarès gargantuesque qui justifie à lui seul son surnom évocateur de « Cannibale ». Champion de son époque c’est certain. Mais cette avalanche impressionnante de bouquets fait-elle pour autant de lui le, Champion des Champions ? Ce n’est pas l’avis de ceux qui ont connu tout à la fois Eddy, Fausto, Louison et Jacques. Ce n’était pas non plus celui de trois champions rebelles, eux aussi entrés vivant dans la légende du sport. Felice Gimondi, Roger De Vlaeminck et Luis Ocana…
Retour sur l’incroyable saga d’un athlète ayant fait de sa carrière le plus fou des champs de bataille.

Le Cannibale

De 1966 à 1976 Eddy Merckx va offrir aux passionnés de cyclisme une épopée digne des plus grands. Sur route et sur piste, il sera le guerrier sans pitié considérant que la victoire seule est belle. Oublié Pierre de Coubertin. Pour ce stakhanoviste du palmarès, l’important n’est pas de participer mais de gagner. Classiques, Grands tours, Six jours ou Omniums, il est de toutes les batailles, de toutes les guerres. Faisant de ses maillots des uniformes mythiques portant les couleurs de ses sponsors comme autant de défis lancés au peloton. Peugeot d’abord, puis Faema et Molteni. Étrangement c’est un coureur portant la tunique Peugeot qui mettra un point final à cette suprématie. Le Français Bernard Thévenet qui tuait l’ogre cannibale dans un Tour 75 d’anthologie. De Peugeot à Peugeot donc, même si la carrière du jeune Édouard Louis Merckx avait commencé un peu plus tôt sous le maillot Solo Superia de l’équipe de Rick Van Loy et se terminera vraiment en 1978 sous le maillot C&A.

Déjà Champion du Monde amateur en 1964, le jeune Merckx est très vite remarqué par plusieurs managers d’équipes de renom. Il signe d’abord chez Solo-Superia où il rejoint le grand Van Loy. Mésentente avec l’ombrageux Rick II, voilà notre débutant qui passe en 1966 chez Peugeot à qui il offre Milan San Remo, sa première classique.

La saison 67 le voit confirmer par un nouveau succès dans Milan San Remo qui devient sa course fétiche. Il s’y imposera à 7 reprises, effaçant le vieux record du premier Campionissimo, Costante Girardengo. Cette année-là est spéciale pour lui. Il dispute le Giro où il s’illustre en montagne dans l’étape reine, le Blockhaus. Jusqu’alors le jeune champion Belge n’avait jamais passé un col en course. Il terminera finalement 9ème de ce premier grand tour. En fin de saison il remporte son premier titre de Champion du Monde en devançant Jan Janssen au sprint. Insuffisant pour que la direction sportive de Peugeot le retienne, préférant jouer la carte Pingeon. Pas important pour Eddy. L’Italie lui tend les bras. Il signe en 68 chez Faema où toute l’équipe sera à son service.

Début de saison 68 en fanfare avec une retentissante victoire dans Paris Roubaix. Prélude magnifique au Giro où il va dominer outrancièrement Felice Gimondi qui ne terminera qu’à la seconde place, distancé de 9 minutes par celui qui devient sa bête noire.
Sur le plat comme en montagne, dans les classiques comme dans les étapes d’un grand tour, Eddy Merckx domine physiquement et psychologiquement. Rarement un jeune champion n’aura autant impressionné ses adversaires qui se présentent régulièrement au départ la boule au ventre avec un évident complexe d’infériorité.

En veine de confidence, Felice Gimondi me confiera ainsi un jour que Merckx en été arrivé à lui faire peur.

« Je ne sais pas pourquoi je ressentais pareille angoisse à l’idée de l’affronter. Un peu comme un boxeur devant se retrouver face à Cassius Clay sur un ring. Eddy je le craignais. Ce n’était pas un adversaire comme un autre. Il était spécial. Même Anquetil, pourtant super champion, ne me faisait pas le même effet. Eddy c’était un tueur à sang chaud. Il attaquait tout le temps et se comportait comme un rouleau compresseur. Il écrasait la course sur tous les terrains. Sa suprématie était autant psychologique que physique. Le voir prendre la tête sans jamais se retourner en écrasant tout sur son passage, c’était démoralisant. Je n’en parlais jamais. Et surtout pas à mes équipiers. Mais un regard suffisait pour comprendre que tout le peloton partageait mon angoisse. »

En quelques saisons seulement Eddy se forge un palmarès ahurissant. Même si le Tour de France le regarde encore de haut.

« Le Tour c’est autre chose, déclare Roger Pingeon, les meilleurs coureurs à étapes sont au départ. Le stress et la pression physique sont permanents. On ne peut y échapper. »
Qu’à cela ne tienne. Merckx se souvient des enseignements de son premier mentor, le double vainqueur du Grand Prix de la Montagne, Félicien Vervaecke.
« Le jour où tu viendras sur le Tour ne fais aucun plan de bataille préconçu. Considère chaque journée comme une classique. Et ne crains personne. Le trop de respect de mes adversaires m’a fait perdre le maillot jaune. Alors sois toi-même. Et ne pense à rien d’autre qu’au bouquet du jour. C’est à la fin que l’on fait les comptes. »

La saison 69 sera donc celle du doublé Giro-Tour. Eddy l’a promis. Il sera au départ à chaque fois pour gagner. Après tout Coppi et Anquetil ont réussi ce doublé magique. Pourquoi pas lui ? N’a-t-il pas rejoint et distancé Anquetil dans le col d’Èze lors de Paris Nice ? Symbole d’une passation de pouvoir définitive entre le Français et le Belge.
Sur le Giro c’est le succès puis le drame et le scandale. Vainqueur de 4 étapes, maillot rose assuré, Merckx est exclu de l’épreuve à Savone après un contrôle antidoping positif. Criant son innocence, il sera un peu plus tard absous au bénéfice du doute par le Président de l’UCI. Ce qui lui permet de reprendre très vite l’entrainement et d’être au départ du Tour de France.

Dès la première étape Merckx et sa garde blanche de la Faema imposent un tempo d’enfer. Second du prologue derrière Altig, Merckx prend le maillot jaune le lendemain chez lui à Woluwe Saint-Pierre. Un peu plus tard il écrase la course en triomphant dans le Ballon d’Alsace avec 4 minutes d’avance. Dans les Pyrénées Eddy en rajoute en s’offrant un exploit à la Coppi. Échappé dans le Tourmalet, il creuse l’écart sans jamais faiblir face à un peloton désemparé. Après 140 kilomètres d’échappée, c’est le triomphe à Mourenx-ville-nouvelle avec près de 8 minutes d’avance sur son second, l’Italien Dancelli.

À Paris, Merckxissimo, comme Jacques Goddet le surnomme, se classe naturellement premier d’un Tour de France qu’il a dominé outrancièrement. Roger Pingeon, Raymond Poulidor et Felice Gimondi suivant à respectivement 17 minutes 54, 22 minutes 13 et 29 minutes 24. A son maillot jaune, Merckx ajoute le classement de la montagne et le classement par points. Du jamais vu.

« Même Coppi ne gangnait Général et la Montagne », s’enthousiasme son nouveau directeur sportif Guillaume Driessens.

Patron absolu d’un peloton qui va prendre l’habitude de la soumission, Eddy semble quasi imbattable. D’autant que son équipe, Molteni après Faema, maitrise les courses en attendant le coup de grâce donné par le maitre. Classiques, Courses à étapes, Grands Tours, Six Jours, rien n’échappe à l’insatiable appétit de victoires de celui qui est devenu le Cannibale du cyclisme. Seuls quelques rebelles parviennent à troubler l’ordre nouveau.
Roger de Vlaeminck dans les classiques et surtout Luis Ocana dans le Tour.
En 1970 Merckx réalise enfin son rêve de doublé Giro-Tour. Il domine le Giro où il s’impose devant Gimondi avant de s’imposer à nouveau sur le Tour face à Joop Zoetmelk et Gosta Petterson.

Il faut attendre 1971 pour le voir réellement en difficulté face à un surdoué originaire d’Espagne, le très romantique Luis Ocana. Aussi extraverti que Merckx est introverti, Ocana est un grand du contre la montre et surtout un grimpeur d’exception. Sans peur et sans calcul, il néglige la stratégie et n’aime rien que l’attaque. Dans l’étape alpine d’Orcières Merlette il inflige à Merckx une première défaite mémorable. Passant la ligne avec près de 8 minutes d’avance et s’emparant du maillot jaune avec 10 minutes. Il a quasiment course gagnée. Même si Merckx a contre-attaqué dès le surlendemain en s’offrant une chevauchée fantastique vers Marseille , reprenant près de 2 minutes à Ocana.

La traversée des Pyrénées s’annonce difficile pour un Merckx qui semble désormais dominé en montagne non seulement par Ocana mais aussi par un autre Espagnol, Fuente. Mais le destin veille. La tempête frappe les Pyrénées. Ocana est victime d’une chute dans la descente du col de Menté. Il doit abandonner le Tour qui voit à nouveau Merckx triompher.
Luis le magnifique prendra sa revanche en 1973. Mais Merckx demeure Merckx. Jusqu’en 1975 où Bernard Thévenet met fin à son hégémonie lors de l’étape de Pra Loup.
1976 marque réellement le déclin. Même si Eddy triomphe encore dans Milan San Remo, il est dominé sur le Giro par son vieil adversaire Felice Gimondi.

Passionné de technique , Eddy Merckx et ses deux constructeurs fétiche, Ernesto Colnago d’abord, puis Ugo De Rosa .

Victime de problèmes de santé, probablement aussi d’une certaine lassitude, Merckx annonce sa retraite sportive au début de la saison 1978.
Il se retire avec 3 titres de Champion du Monde, 11 Grand Tours et 27 classiques. Et un total inimaginable de 525 succès sur route. Avec en prime un formidable Record de l’heure établi le 25 octobre 1972 à Mexico avec 49 kilomètres 431. L’exploit des exploits merckxiens selon Ernesto Colnago.

« Eddy est arrivé à Mexico avec tout une saison derrière lui. Cette année 72 il avait déjà gagné Milan San Remo, Liège Bastogne Liège, le Giro, le Tour et le Tour de Lombardie. A plus de 2200 mètres d’altitude, avec toute cette saison dans les jambes, je suis persuadé qu’il n’était pas à 100% de ses possibilités. Même s’ il s’était entrainé chez lui en Belgique avec un masque pour reproduire l’atmosphère raréfié de Mexico. De mon côté je lui avais préparé un vélo spécial de 5 kilos 700 avec des pièces en titane. Il était bien dessus. Il s’est un peu échauffé et il s’est élancé. Avec enthousiasme. Avec certitude. Il a parcouru 800 mètres de plus que le précédent record du danois Ritter. J’en ai pleuré de joie. J’ai longtemps suivi Eddy. Mais Mexico c’est son summum. Son exploit majeur. »

Plus beau palmarès de tous les temps, c’est certain côté chiffres.
Plus grand champion de tous les temps, ce n’est pas l’avis d’un certain Jacques Goddet, fondateur du journal l’Equipe et Directeur du Tour de France de 1936 à 1987.

« Le numéro Un des résultats c’est Eddy Merckx. Mais il y a pour moi quelqu’un au-dessus de ce numéro Un, c’est Fausto Coppi. Parce qu’il s’est manifesté dans des conditions qui atteignent le divin, le surhomme, par sa morphologie, par sa nature physique, sa classe pure. »

Un jugement confirmé par les médecins, et notamment par Philippe Miserez qui fut docteur du Tour.

« Merckx n’est pas celui qui avait le cœur le plus lent, la capacité pulmonaire la plus importante ou la meilleure VO2max. Mais il était certainement celui qui, avec Bobet, aura su aller le plus loin dans la douleur. »

Eddy pour sa part, se veut philosophe. Anobli par le Roi des Belges, devenu Baron et légende vivante, il demeure égal à lui-même. Distant avec les journalistes, amical mais réservé avec le public. Cordial avec ses rares vrais amis. Passionné de vélo, l’objet encore plus que le sport, il ne prétend jamais détenir la vérité. Même si certaines choses le font encore bondir. Non pas de colère mais d’indignation. Notamment cette quête hystérique du dopé. Et ces attaques perpétuelles contre le cyclisme. Pour le reste…
S.L.
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