Daniele Bennati le sprint comme métaphore

par | Oct 21, 2019 | Acteurs du cyclisme

Antithèse modeste et souriante de son grand ami et ex-leader Mario Cipollini, le sprinter star du Team Movistar fait le point sur l’état du cyclisme alors qu’il vient de clôturer à Rome sa dix-septième saison professionnelle. Regard amical jugement radical et enthousiasme intact en dépit d’un accident qui le laisse encore diminué. Daniele Bennati se souvient de tout et de tous. A commencer par sa somptueuse victoire sur les Champs Élysées face à Thor Hushovd et Erik Zabel.

« C’était le 29 juillet 2007. Nous partions de Marcoussis pour rendre hommage à l’équipe de France de Rugby. J’ai lancé le sprint de loin. Tous les meilleurs étaient là. Je me suis finalement imposé face à Thor Hushovd, Erik Zabel, Robert Hunter, Tom Boonen, Sébastien Chavanel, Fabian Cancellara et David Millar. Mon plus beau souvenir de coureur, Salvatore. Et aussi le sommet de ma carrière. Je m’en souviens. Je m’en souviendrai toujours. J’ai fait le sprint idéal. Celui qui donne un sens à toute une carrière. »
Pavillon Campagnolo sur la Granfondo Roma. Tout en signant des autographes à la chaine et en acceptant des selfies par dizaines, Daniele Bennati prend le temps de la confidence. Revêtu de sa tenue de coureur du team Movistar Canyon, d’abord, puis relax en survêtement avec un ristretto machiato à portée de main. Invité personnel de Valentino Campagnolo, qu’il vient de saluer avec la dévotion d’un cadet, le sprinter s’attarde. Parle de son plaisir à venir partager avec les quelques 5000 cyclos de la Granfondo Campagnolo Roma, évoque en souriant sa rencontre du matin avec son ex-leader et éternel ami Mario Cipollini, décrit l’ambiance actuelle du peloton professionnel et revient sur les grands moments d’une carrière marquée par une soixantaine de victoires.

La veille de la Granfondo Campagnolo Roma, Daniele Bennati a participé à la reconnaissance du circuit. Enthousiasme et passion…

Présenté comme une œuvre d’art, le Wilier victorieux sur les Champs Élysées trône dans l’appartement du champion Toscan.

« J’ai gagné 7 étapes sur la Vuelta, 3 étapes sur le Giro et 2 étapes sur le Tour. J’ai débuté ma carrière chez Acqua et Sapone en 2002. J’étais chargé d’épauler Mario qui m’intègrera bientôt dans son train où je côtoyais les meilleurs lanceurs du Monde au service du meilleur sprinter de tous les temps. Puis j’ai été intégré dans les plus grandes équipes. Chez Liquigas, Lampre, Léopard Trek, Radio Shark, Tinkoff et aujourd’hui chez Movistar. J’ai roulé dans un peloton avec Pantani, Simoni, Cunego, Basso, Contador, Armstrong, Wiggins, Froome, Valverde. Rien que des grands. Je n’ai pas de regrets, sinon celui de n’avoir pu gagner une classique. J’aurai pu m’imposer sur Gand Wevelgem, Milan San Remo ou Paris Tours. Mais à chaque fois il y a eu des circonstances de course qui ne m’ont pas permis de me retrouver dans le final en position de gagner. Je ne vais pas en pleurer. C’est la vie de coureur. Faite de satisfactions, de victoire, de doutes, de chutes, de problèmes, de défis et de rencontres. »
Daniele sourit. Il évoque les différences entre hier et aujourd’hui. Entre l’époque de Pantani et celle de Bernal.
« Lorsque j’ai débuté je ne pouvais même pas imaginer venir frotter et gêner un Pantani ou un Jalabert. C’était inconcevable. Aujourd’hui le premier petit jeune venu va se permettre de frotter exagérément pour gagner une place en mettant en péril le champion qu’il vient de tasser. Et puis je ne sais pas pourquoi ni comment mais dans leur majorité les nouveaux coureurs sont moins habiles. Ils ne maitrisent pas aussi bien leurs vélos que nous le faisions. Il y a ainsi d’avantage de chutes. Le peloton c’est un peu la foire d’empoigne. Il n’y a plus de règle. Et plus de vrai patron. Et dans le sprint c’est difficile de s’y retrouver. Il n’y a plus de grands dominateurs comme ont pu l’être Mario Cipollini, Alessandro Petacchi ou Mark Cavendish. Et il n’y a plus de vrais trains non plus. Alors difficile de sprinter correctement bien en ligne. D’autant que les juges d’arrivée peuvent vous déclasser pour le moindre changement de ligne. Dommage qu’ils ne soient pour la plupart jamais monté sur un vélo de course à 70 km/h. Le vélo c’est devenu comme la F1, on ne peut plus rien faire. C’est l’époque. Mais c’est dommage. Alors il faut accepter que l’aristocratie du sprint ne soit plus de mode. »

En dix-sept saisons, Daniele a connu aussi l’évolution incroyable du matériel. Avec la fin de l’acier, de l’alu et du titane et l’avèment du carbone. Il a ainsi couru sur Specialized, Bianchi, Wilier, Trek et Canyon. Avec des groupes Campagnolo, Shimano ou Sram. De bons souvenirs là encore. Et de moins bons. Mais pour ce passionné de matériel, qui considère le vélo comme un objet d’art, il n’est pas question de parler mal de telle ou telle marque. Ce serait pour lui manquer de respect aux hommes qui ont conçu et fabriqué ses vélos. Alors il préfère évoquer ses deux meilleures machines.
« J’aime le vélo en tant qu’objet. Depuis toujours. Et je prends un plaisir infini à retrouver mon vélo propre et bien réglé chaque matin pour aller rouler. C’est un bonheur. Dans cet esprit j’aime tous mes vélos. Mais évidemment j’ai mes préférés. Le Wilier Campagnolo Fulcrum de ma victoire sur les Champs Élysées et mon Canyon Campagnolo actuel. Deux merveilleuses machines de guerre. Je les conserve avec plaisir. Jalousement. Leur rendement est hallucinant et en plus ce sont des chefs d’œuvres de beauté. Des sculptures dignes d’un musée. Tout en demeurant des merveilles d’ingénierie qui apportent un surplus de performance et de sécurité au coureur. Les progrès sont énormes. J’adore le groupe 12 vitesses de Campagnolo. Et l’efficacité incroyable des roues Carbone. Notamment les fabuleuses Bora. Je suis un peu plus sceptique sur le freinage disque. Mais il faut accepter le progrès. Alors je vais peut-être l’adopter. »

Cycliste à la ville comme en course, Daniele Bennati traine encore les séquelles d’une grave chute. Avec quelques vis dans l’épaule et aussi des vertèbres en vrac. En fin de contrat avec Movistar, il ne sait pas encore si la saison 2020 s’ouvrira avec lui. Mais tout en s’interrogeant il n’est pas inquiet. Comme tout sprinter il ne doute de rien.
« Le sprint est un peu la métaphore de la vie. Il faut savoir préparer l’emballage final durant des centaines de kilomètres. Puis savoir se placer idéalement en étudiant les adversaires et le parcours. Tout en tenant compte de la météo. La route sera-t-elle glissante ? Telle équipe va-t-elle ou non s’allier avec cette autre ? Peut-on appliquer les consignes du Directeur sportif ou doit-on les adapter à la réalité du moment ? Alors, sortir vainqueur d’un sprint permet réellement d’envisager la vie normale avec des capacités d’adaptation et de réaction. Je ne sais pas encore si je serai coureur l’an prochain. Tout dépendra de ma santé. Mais ce qui est certain c’est que je serai encore dans l’univers du vélo. Je ne peux pas m’en passer. Et je crois pouvoir apporter quelque chose. Et rendre un peu de ce que j’ai reçu. »

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