L’humble seigneur de Castel d’Ario

Nalini, marque légendaire, c’est aussi et surtout un patron pas tout à fait comme les autres. Un ex-footballeur de haut niveau devenu par la force du destin le successeur d’un frère médaillé olympique sur piste aux JO de Tokyo.

Ses héros sont au nombre de trois. Son frère Vincenzo, d’abord. Miguel Indurain ensuite. Le légendaire Tazio Nuvolari enfin. C’est de ces trois héros personnels qu’il aime à parler. Longtemps. Avec émotion. Avec enthousiasme. Avec précision. A la manière d’un conteur antique des basses terres de Mantoue. Cette capitale des ducs de Gonzague devenue en quelques décennies un pôle économique et culturel.

Cheveux blancs et regard clair, Claudio Mantovani me rappelle immanquablement ces artistes italiens du Novecento si bien incarnés par Giorgio Morandi ou Ruggero Savinio. De ces artistes chevaleresques il a le port altier et la parole métaphysique. Avec une rare propension à faire découler tout raisonnement de la rencontre avec ce visiteur devenu un autre lui-même. Celui avec qui partager semble naturel.

Tandis qu’il chemine devant moi, dans les vastes ateliers MOA-Nalini, mélange de tradition industrielle et de modernité esthétique, je me remémore les immenses champions qui ont un jour ou l’autre porté les tenues siglées Nalini. Miguel Indurain, cela va de soi. Laurent Fignon, Greg LeMond entre autres. Une galerie des portraits qui ne doit rien aux ancêtres et tout au travail. Celui de ce frère, tragiquement disparu en 1989 dans un accident d’avion, qui fonda la société Moa-Nalini à l’issue d’une brillante carrière de cycliste professionnel conclue dans la mythique équipe Germanvox du grand Ole Ritter. Puis le sien à compter de cette fatidique année 1989.

Claudio Mantovani, en bon italien, croit au destin. Et aux valeurs humaines qui l’illustrent depuis toujours dans cette terre antique à l’histoire aussi riche en artistes qu’en champions. Et le destin aura irrémédiablement marqué les Mantovani du signe de la réussite sportive.

Vincenzo, plus connu sous son surnom de Censio, était un redoutable pistard. Sous le maillot de l’équipe nationale, il fut médaillé d’argent aux JO de Tokyo en 1964 et aux Mondiaux de Paris la même année. Puis encore aux Mondiaux de San Sébastian l’année suivante. A l’issue de sa carrière professionnelle, il fonda MOA, la maison mère de Nalini. Avec à l’esprit l’idée de donner enfin aux cyclistes des tenues modernes et performantes.

Claudio pour sa part préférait le football. Comme son troisième frère, l’ainé Roberto, le plus doué selon lui. Après des débuts comme portiere au club local, ce sera la gloire avec les maillots du Milan, de l’Atalanta ou de Cesena. Et un record d’inviolabilité de ses buts de 1251 minutes. Soit 14 matches sans prendre un but. Alors qu’il évoluait au meilleur de sa forme, une grave blessure au ménisque mettra fin au rêve. Il n’avait pas 30 ans. L’âge de rejoindre Vincenzo chez Nalini. Du sport au sport. Comme une fatalité dans une région agricole où il n’y avait alors que le sport pour se divertir. Et pour réussir. Comme l’avait fait avant les Mantovani, un certain Nuvolari de Castel d’Ario considéré comme l’un des plus grands pilotes de l’histoire. Sur la place centrale de Castel, une sculpture monumentale lui rend hommage. Don de Claudio Mantovani et de Nalini.

C’est devant cette sculpture impressionnante que nous séparerons après un long périple dans les rues mystérieuses de Castel d’Ario. Itinérance amicale et mélancolique de la maison natale de Nuvolari à sa dernière demeure. Un étrange manoir clos qui restitue au voyageur égaré entre rizières et champs de blés l’atmosphère d’une époque à jamais révolue.

Alors que nos chemins se séparent, Claudio revient vers moi avec un sourire. « J’espère que vous avez apprécié la promenade. Nuvolari pour moi c’est l’exemple même de cette Italie laborieuse dont mon frère et moi sommes les fils. Le sport et la terre sont des arguments en forme de métaphore dans cette région longtemps désenchantée. A bientôt ! »

Tandis que nous reprenons le chemin de Milan, je songe que Claudio ne nous a finalement parlé que de nous. En humble seigneur. Ce qui le rapproche d’un Miguel Indurain qui fut un enfant de la terre avant de devenir l’immense et lumineux champion vainqueur du Tour de France à cinq reprises.

Share This