Les Champions des Champions

Alberto Contador

par | Mai 12, 2020 | Les champions des champions

Photos : Sirotti

Grimpeur d’exception, attaquant infatigable, Contador est de la race des Ocana ou des Pantani. Irréductible et lumineux, il y avait en lui du Don Quichotte rebelle et fier. Bien que lourdement frappé par une suspension qu’il a toujours réfutée, sanction lui coutant un Giro et un Tour, le Pistolero peut se targuer d’un palmarès exceptionnel où figurent toujours deux Tours de France, deux Tours d’Italie et trois Tours d’Espagne. Après un ultime exploit sur les pentes mortelles de l’Angliru, il s’est retiré à 35 ans à l’issue de la saison 2017. Laissant orphelin son légendaire mécano personnel, le légendaire Faustino.

Le pistolero des sommets

Son habitude de franchir victorieusement la ligne d’arrivée en mimant le tir d’un coup de révolver, lui a valu le surnom de Pistolero. Son aisance incroyable en montagne, sa capacité à gérer les chronos, son insatiable volonté d’attaquant tous terrains, sa classe naturelle et son style aérien lui ont donné la dimension d’une légende. Légende d’autant plus évidente que l’époque actuelle n’est plus si riche en champions audacieux capables d’attaquer de loin pour creuser l’écart ou renverser une situation. Il suffit pour comprendre Le Pistolero de se souvenir que dans certaines étapes de montagne il eut le courage ou la témérité d’attaquer à 25 reprises pour faire la différence lui permettant de triompher. Seuls Pantani, Virenque ou Ricco eurent ce grain de folie qui soulève les foules. Tous maudits évidemment. Mais tous trois enthousiasmants, iconoclastes et rebelles.

L’aventure professionnelle avait débuté pour le jeune madrilène Alberto Contador par une série de performances annonciatrices d’une grande carrière. Et ce dès 2003, sa première saison chez Once. A 20 ans il domine Jan Ulrich dans la difficile montée du Folberg lors du Tour d’Allemagne. Et il s’impose un peu plus tard dans l’étape contre la montre du Tour de Pologne face à Jens Voigt. Déjà il se fait remarquer par son aisance en montagne et sa capacité dans les chronos.

Sa saison 2004 s’annonce comme celle de la confirmation. Ce sera celle du drame. Victime d’une lourde chute lors du Tour des Asturies, le jeune champion est hospitalisé à Oviedo où les médecins du service des urgences découvrent un début de rupture d’anévrisme. Ce qui expliquerait tout à la fois sa chute et les convulsions qui ont effrayée les ambulanciers chargés de l’évacuer après sa chute.

A peine sorti de l’hôpital, où l’on n’a détecté aucune fracture, son état se détériore. Il est transporté dans un hôpital de Madrid, près de son domicile. Après une intervention chirurgicale de cinq heures, destinée à réduire un œdème logé dans le crane à un emplacement sensible, avec le risque qu’il se retrouve à jamais dans un état végétatif, il est placé trois semaines en comas artificiel. A sa sortie il a sur le crâne une large cicatrice laissée par 70 points de sutures et deux plaques de titane. Pour ses médecins Alberto est un miraculé. Certains commentateurs imaginent déjà que sa carrière de coureur cycliste est finie. Mais deux mois plus tard le futur Pistolero remarche. Et en décembre il est sur son vélo.

La saison 2005, sa seconde vraie saison professionnelle, s’annonce délicate. Mais lui ne doute pas. Il s’impose avec la manière sur la Semaine catalane et il fait même ses débuts sur le Tour de France. Le dernier Tour victorieux de Lance Armstrong, l’autre miraculé. Alberto se classe seulement 31 ème un plus d’une heure de Lance. Mais il a déjà montré sa volonté, sa facilité dans les cols et surtout sa classe sur le vélo.

Le Tour l’a séduit autant qu’il a séduit le Tour. Il va s’y imposer dès sa seconde participation en 2007. En réalisant notamment un exploit dans l’étape du Plateau de Beille. Il s’y impose face à Rasmussen en réalisant un meilleur temps que Lance Armstrong. Une référence e révélatrice, même s’il est encore loin du temps de Marco Pantani.

En 2008 confirmation et même affirmation avec un spectaculaire doublé Giro-Vuelta. Il rejoint ainsi Merckx et Battaglin, les seuls à avoir réalisé ce doublé magique avant lui. Durant le Giro il a dû subir les attaques en montagne des deux stars italiennes, Di Luca et Ricco. Ce dernier, grimpeur exceptionnel, ne s’inclinant finalement qu’à l’issue du contre-la- montre final.

Sur la Vuelta il réalise un exploit spectaculaire dans l’Angliru qui devient sa montagne fétiche. Valverde et Rodriguez s’en souviennent encore… 2009 sera la saison de tous les risques, de tous les défis, de toutes les trahisons. Lance Armstrong effectue son come-back. Et il entend bien reprendre le leadership de Son équipe. Ce team américain où l’Espagnol avait trouvé refuge et attention. On lui a certes promis une égalité de traitement. Et même l’assurance que Lance pourrait l’aider à l’occasion. Facile à affirmer mais naturellement impossible à imaginer. Armstrong est de retour. Le grand Armstrong qui le toise du haut de ses sept maillots jaunes. La star internationale qui a ses entrées aussi bien à la Maison Blanche qu’à l’Élysée. L’ultra-champion qui a triomphé du cancer, offrant à des millions de malades une raison d’espérer et de croire en un possible guérison.

Dès le départ le jeu est faussé. Non pas tant par Armstrong lui-même que par l’histoire et les circonstances. Une cassure, une bordure, Lance embraye à 200%. Oubliant Alberto en chemin. La pièce de théâtre reste à écrire. Mais le mélodrame est en route. L’Espagnol se rebelle. Mais le public et les suiveurs ont déjà choisi leur camp. Celui du revenant. Celui de la gloire éternelle. Et puis Alberto le Pistolero apparaît fragile. Psychologiquement et physiquement. N’a-t-il pas perdu Paris Nice sur une défaillance après avoir pourtant réalisé un exploit ahurissant lors de l’arrivée au sommet de la montagne de Lure ? Durant 34 minutes il a tenu une moyenne de 425 watts.

Sur ce Tour il est d’abord sous l’emprise de l’ogre américain. Cédant par exemple 40 secondes dans une bordure vers La Grande Motte. Mais il se reprend dans la montée d’Arcalis à l’issue des laquelle il se retrouve second au général, 2 secondes devant Armstrong qui ne parvient pas à retrouver son niveau. Un peu plus tard c’est la prise de pouvoir après un exploit dans l’étape de Verbiers. Contador en état de grâce s’envole de son style aérien et puissant vers une victoire historique. Sur les 20 dernières minutes il a développé une moyenne absolument inimaginable de 490 watts. Le maillot jaune est à lui. Il ne le lâchera plus. A Paris les deux guerriers d’Astana sont premiers et troisièmes. A leurs côtés un certain Andy Schleck.

La suite de la carrière du Pistolero va être une suite ininterrompue de victoires de prestige et d’affaires. Avec un point culminant lors d’un contrôle positif au clenbuterol en septembre 2009. La très faible concentration de 50 pictogrammes par millilitre est curieusement 400 fois inférieure au niveau habituellement retenu par les laboratoires antidoping. Mais l’UCI, poussés par l’Agence Mondiale Anti-Dopage, veut aller plus loin. On découvre alors des traces suspectes de plastique dans les échantillons sanguins du champion. De quoi suspecter une autotransfusion…

Faustino Munoz, le mécano fétiche du Pistolero

Une carrière qu’il va pourtant poursuivre jusqu’en 2017. Avec comme consolation-démonstration deux nouvelles victoires sur la Vuelta en 2012 et 2014. Alberto, qui se souvient de ses origines modestes, a entrepris d’aider les jeunes cyclistes au travers de sa fondation qu’il anime avec son frère Fran. Reste de lui le souvenir illuminant d’un grimpeur ailé s’attaquant aux cols les plus pentus avec un immense braquet poussé avec style sur des kilomètres de danseuse. Et aussi celui d’un esthète amoureux de ses vélos qu’il refusait de confier à quiconque en dehors de son mécanicien-artiste, le célèbre Faustino Munoz.

S.L.
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